1998 a marqué le 125ème anniversaire de la GRC. Certains d’entre nous ont eu la chance de participer aux activités qui ont été organisées pour marquer cette étape. En 2023, nous célébrerons le 150e anniversaire de la GRC. Nous serions négligents si nous ne saisissions pas cette occasion pour réfléchir au passé, pour mieux planifier l’avenir de notre police nationale. À quoi ressemblera la GRC lorsqu’elle célébrera ses 175e et 200e anniversaires ? Que voulons-nous qu’elle soit ?

Dans le sillage des récents événements tragiques survenus aux États-Unis et au Canada, il est opportun d’aborder certaines des questions qui affectent la viabilité de la GRC et d’identifier les leviers pour la transformer. Nous ne pouvons plus ignorer les conclusions et les recommandations des nombreux examens, enquêtes et poursuites judiciaires qui ont frappé la GRC ces dernières années, ainsi que les nombreuses plaintes déposées chaque année auprès de la Commission civile d’examen et d’instruction des plaintes[1].

La GRC peut-elle continuer à offrir de la valeur au public canadien, en utilisant ses modèles actuels de gouvernance, de leadership et de maintien de l’ordre, le statu quo est-il toujours viable ? Il ne l’est pas. Les solutions d’aide aux bandes ne sont plus suffisantes, des changements structurels radicaux et des actions sont nécessaires de toute urgence.

Au fil des ans, les gouvernements successifs se sont empilés et ont transféré de nouvelles responsabilités à la GRC, sans les ressources nécessaires pour assumer des mandats élargis, parfois au détriment des fonctions essentielles. En conséquence, la GRC, dans sa forme actuelle, est peut-être devenue ingérable.

Les prestations de la GRC sont trop vastes, il faudrait la diviser en parties gérables et contrôlables, selon ses quatre secteurs d’activité (fédéral ; services internes ; services de police nationaux ; contrats), en l’ancrant autour d’un solide mandat fédéral et international, soutenu par ses services internes.

Par exemple, la GRC est actuellement responsable des services de police nationaux[2], l’un de ses quatre secteurs d’activité, qui comprennent le Collège canadien de police, les laboratoires de police scientifique, le Centre d’information de la police canadienne (CIPC), le programme canadien des armes à feu et la banque de données génétiques. Comme ces services sont offerts à toutes les forces de police du Canada, leur responsabilité devrait incomber au ministère de la Sécurité publique, en collaboration avec toutes les principales forces de police du Canada.

De même, la GRC devrait également revoir ses contrats de police, car les coûts réels ne sont pas représentatifs des services fournis, en raison, entre autres, du mélange des ressources municipales, provinciales et fédérales. Ces incohérences financières ont été clairement identifiées lors d’un examen effectué en 2017 par KPMG[3]. Le coût réel du maintien de l’ordre dans 150 municipalités, 8 provinces, 3 territoires et 184 communautés des premières nations est beaucoup plus élevé que ce qui a été et est rapporté et devrait nécessiter des contrôles et une surveillance beaucoup plus stricts et un modèle de gouvernance tout à fait différent.  

La restructuration indispensable de la GRC et l’examen critique de ses secteurs d’activité actuels pourraient lui donner la marge de manœuvre, le temps et les ressources nécessaires pour réfléchir à sa mission et à ses fonctions essentielles, pour revenir à ses solides racines historiques de police de proximité.   

La GRC, après tout, a pour mission d’offrir et de fournir des services de sécurité publique. À ce titre, son atout le plus important et le plus sûr reste son personnel de première ligne, qu’il s’agisse de policiers ou de civils. La force de la GRC devrait résider dans la façon dont elle recrute, développe, supervise et dirige son personnel, conformément à ses valeurs fondamentales et dans les limites dictées par nos systèmes judiciaires, politiques et financiers.

Ce processus de ressources humaines devrait commencer par redéfinir le profil des recrues idéales pour la police, des personnes ayant des qualités intellectuelles et émotionnelles, possédant un fort désir et une capacité à servir avec intégrité, combinés à une passion pour la justice. Face à l’environnement complexe d’aujourd’hui, les qualités et les compétences que nous recherchons chez les recrues et les cadres de la police ne suffisent pas. Comme pour toute profession, elle doit être complétée par une formation professionnelle continue.

Un programme d’études amélioré pourrait inclure des notions plus poussées de droit, de criminologie, de sociologie, de psychologie, de gestion, de technologie de l’information et d’histoire, pour ne citer que quelques-uns des domaines qui devraient figurer dans un certificat ou un diplôme universitaire de police. Le programme de ces diplômes ou certificats pourrait être aligné sur les différents parcours de carrière qui seront proposés aux policiers dans un contexte municipal, provincial ou fédéral.  

La question de savoir si la GRC conservera ou non la totalité ou la plupart de ses contrats municipaux et provinciaux est tout autre. Indépendamment des négociations à venir avec ses clients, la GRC pourrait rester à la pointe de la formation policière, si elle collaborait activement avec les universités canadiennes et/ou les collèges du Canada, pour développer un tel programme de formation policière. Elle pourrait alors être en mesure d’offrir et de compléter l’aspect technique de la formation policière, pour elle-même et/ou pour d’autres forces de police, dans ses installations actuelles à Regina.

Le recrutement et la formation continue des agents de police nécessitent un modèle de gouvernance solide, dirigé par une équipe de cadres supérieurs, sélectionné et développé selon un processus systématique. Ce processus devrait comprendre un encadrement continu, des affectations stratégiques, au sein et à l’extérieur des organisations, afin de tester les compétences et les capacités des candidats officiers, complétées par un parcours académique parallèle, comme on le voit souvent avec les militaires.  

Les forces de police, y compris la GRC, doivent également inclure et développer une capacité de mouvements latéraux entre les secteurs public et privé. Toutefois, pour ce faire, et pour attirer les bons candidats, la GRC devrait devenir une entité distincte, comme l’a recommandé en 2007 le groupe de travail sur la gouvernance et les changements culturels à la GRC.[4]

La transformation de la formation policière et de sa prestation au sein de nos communautés, plutôt qu’à l’extérieur, ainsi que le développement systématique de ses cadres permettront de rompre avec la nature repliée sur elle-même des forces de police comme la GRC, comme le suggère également un document de recherche préparé pour le groupe de travail sur la gouvernance et le changement culturel à la GRC en 2007.[5]

Enfin, la prestation de certaines des activités de police de la GRC pourrait être externalisée sans incidence sur l’application de la loi. Avons-nous besoin de policiers hautement qualifiés et rémunérés pour diriger la circulation, contrôler l’accès aux sites de construction, faire respecter les règlements municipaux ou d’autres tâches similaires ? La délégation et l’externalisation de certaines fonctions de police non critiques qui ne nécessitent pas un agent formé et expérimenté, à des fonctionnaires et au secteur privé, permettraient aux services de police et aux gouvernements de maximiser le potentiel de leur force de police experte, en affectant des ressources limitées aux priorités de sécurité publique les plus urgentes.

Nous avons manqué une occasion en 1998 d’envisager l’avenir de la GRC, n’attendons pas 25 ans de plus pour relever ce défi, pour promouvoir une présence et un héritage durables pour une telle institution qui a marqué l’histoire du Canada. Je suis extrêmement fier de ce que la GRC a accompli et continue d’accomplir, mais il est temps d’agir, et non de créer un autre groupe de travail ou un autre comité : les femmes et les hommes de la GRC qui ont servi et servent encore le public méritent mieux.

Yves Duguay, MBA, ICD.D, Président de HCiWorld et ancien membre de la GRC (1975-2000)

[1] https://www.crcc-ccetp.gc.ca/en/annual-report-2018-2019

[2] https://www.rcmp-grc.gc.ca/en/national-police-services-building-a-sustainable-future#annexes

[3]https://www.google.com/url ? sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjC94mPqoTrAhVTGM0KHbd9AlwQFjAAegQIBRAB&url=https%3A%2F%2Fwfpquantum. s3.amazonaws.com%2Fpdf%2F2019%2F51161_KPMG%2520report%2520on%2520RCMP%2520resourcing%2520review.pdf&usg=AOvVaw2sM5ncaHTKh313jT2LGgtP

[4] https://www.publicsafety.gc.ca/cnt/cntrng-crm/tsk-frc-rcmp-grc/index-en.aspx

[5] https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/plcng/cnmcs-plcng/rsrch-prtl/dtls-en.aspx?d=PS&i=18223481